Un classique de notre littérature professionnelle
Lorsque Daniel Soulez Larivière publia l’Avocature en 1982 (Ed. Ramsay), le Barreau français ne comptait qu’une dizaine de milliers avocats (contre 69.000 aujourd’hui), les conseils juridiques exerçaient sous leur propre réglementation depuis 1971 et les avoués restaient un passage obligé en appel. Il s’agissait à l’époque du premier ouvrage de profonde réflexion sur la place et le rôle de l’avocat dans la société. Il prédisait déjà, sans concession au politiquement correct, l’évolution qui bouleversera une profession redevenue attractive, sans pour autant réussir à regagner sa puissance d’antan.
Après avoir contribué, lorsqu’il était membre du Conseil de l’Ordre de Paris, à la réforme de 1991 par son fameux rapport sur la fusion des professions juridiques et judiciaires, Daniel Soulez Larivière livra une troisième édition actualisée de son ouvrage en 1995 (Ed. du Seuil) qui soulignait combien le rôle des avocats, tant en judiciaire qu’en juridique, connaissait un renforcement inéluctablement lié à l’évolution de notre Etat de droit et sa judiciarisation, en le transformant en professionnel participant de plus en plus à la régulation économique et sociale.
Une nouvelle édition refondue et augmentée
Ce véritable classique de notre littérature professionnelle étant épuisé, tandis que la profession connaissait ces trente dernières années plus de mutations que durant tout le siècle précédent, un nouveau bilan était nécessaire, une nouvelle édition s’imposait.
Fort de plus d’une cinquantaine d’années d’expérience professionnelle au plus haut niveau et d’une quinzaine d’ouvrages de réflexion sur le fonctionnement de la justice, Daniel Soulez Larivière vient donc de réécrire cet ouvrage de référence sur les avocats qui marqua deux générations de professionnels et va pouvoir encore nourrir la curiosité intellectuelle de nombreux confrères en exercice ou exciter la vocation de ceux en devenir, à l’université ou dans les écoles d’avocats. Mais, il s’agit également d’un livre dont la lecture serait précieuse à tout justiciable, magistrat ou politique pour mieux comprendre l’utilité et la complexité du rôle de l’avocat, présenté comme un véritable lubrifiant de la machine sociale.
Cette nouvelle édition (chez Gazette du Palais, Lextenso éditions, 2019) a naturellement été entièrement refondue et augmentée par rapport aux précédentes, mais nous y retrouvons la méthodologie qui avaient fait l’originalité d’un essai écrit en réponse à cette sempiternelle question posée à l’avocat: « Maître, comment pouvez-vous défendre… ? »
"Comment puis-je défendre ?"
L’avocat essayiste y mêle savamment des réflexions théoriques et des mises en perspective historiques, faisant revivre de grands noms du Barreau aujourd’hui disparus (justifiant le mot Chateaubriand selon lequel « les morts instruisent les vivants »). Il a également longuement enquêté en France comme à l’étranger - des Etats-Unis à la Chine, en passant la Russie -, certaines personnalités, comme Henri Leclerc, ayant pu être ré-interviewées à plus de trente ans d’intervalle. Ses analyses sont enfin fondées sur des retours d’expérience issus de dossiers anonymes comme d’affaires plus célèbres agitèrent le « cirque médiatico-judiciaire ».
Daniel Soulez Larivière, de sa plume quelques fois provocatrice, nous transporte donc dans un voyage dans le temps pour mieux nous guider dans les problématiques contemporaines et éclairer notre avenir, sans oublier de dessiner le sens de notre mission.
Nous y retrouvons, sans tabou, les thématiques consubstantielles à notre exercice professionnel, empruntes d’analyse, y compris psychanalytique avec Jean-Pierre Winter, et de prospective : Comment puis-je défendre?; Naissance de l’avocat ; Mort et survie de l’avocat ; L’huile dans le moteur ; Du sable dans les engrenages ; En prison les avocats ; L’argent, les avocats et leur production économique et social ; Qu’est-ce qui fait courir les avocats ?; L’avocat devant la glace ; La parole, l’action et leurs limites ; L’avocat et son client ; L’avocat face au juge ; L’avocat face aux médias ; Des avocats pour la mort ; Et aujourd’hui quel avenir ?
Un véritable défenseur de l'avocature
Certes, le regard de cette figure du Barreau est souvent critique, tant il regrette que notre profession - dont il ne ménage pas la gouvernance (parfois injustement, d’ailleurs) - ne se réforme pas suffisamment vite pour répondre aux défis que lui imposent la nouvelle économie mondialisée (on pense à l’avocat en entreprise), mais également aux besoins de droit de tous les citoyens (on pense à l’aide juridictionnelle).
Cependant, il sait faire preuve d’optimisme sur notre rôle de partenaire de justice renforcé par les dernières réformes (ex : Loi Sapin 2), l’ère du numérique, la « féminisation, une révolution », ou l’espoir de la constitution d’une véritable communauté juridique avec les magistrats, autant de sujets parfois inspirés des travaux approfondis du Comité d’éthique du Barreau de Paris que Daniel Soulez Larivière préside depuis 2015.
Derrière le polémiste, c’est en véritable défenseur de l’avocature et des libertés que Daniel Soulez Larivière nous livre son témoignage éclairé d’amoureux d’un « grand métier qui est né dans la Rome antique » et qu’il compare aujourd’hui, de façon un peu iconoclaste mais néanmoins constructive, à un « agent de l’ordre public » dans la mesure où il considère que l’avocat, même quand il critique violemment les institutions, est chargé de faire adhérer le citoyen au système judiciaire donc à l’Etat.
A lire donc, cette dernière édition indispensable pour mieux comprendre l’avocature et participer, en connaissance de cause et en n’ayant pas peur d’innover, à son évolution prometteuse qui doit continuer d’allier tradition et modernité.
www.labase-lextenso.fr/gazette-du-palais/GPL366k4
Comments