Le 30 octobre 2017, Loïc Dusseau a présenté la nouvelle action de groupe en matière environnementale, lors des 18èmes Journées Juridiques du Patrimoine, dont il est membre du comité scientifique. Nous publions, ci-dessous, le texte de son intervention (préparée en collaboration avec Joachim Lévy, avocat), tel que diffusé par le Journal Spécial des Sociétés n° 81 du 25 octobre 2017:
La loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle et son décret d’application n°2017-888 du 6 mai 2017 sont venus étendre la procédure de l’action de groupe au droit de l’environnement.
On sait que le mécanisme de l’action de groupe permet schématiquement à un ou plusieurs demandeurs d’intenter une action en justice au bénéfice d’un groupe de personnes ayant subi un préjudicie sériel et qui présentent des questions droit et de fait analogues pouvant être tranchées de façon uniforme dans un seul procès.
Après 30 ans de débats publics, face à l’échec de procédure en représentation conjointe instituée en 1992 et à l’instar des principaux pays européens ayant déjà adopté des procédures similaires à la fameuse class action américaine, la France s’est enfin dotée d’un tel outil processuel par la loi dite Hamon du 17 mars 2014, limitant toutefois cette nouvelle action de groupe au seul droit de la consommation.
Après avoir été étendue au domaine de la santé par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, ce sont désormais également les domaines des discriminations, de la protection des données à caractère personnel, et de l’environnement qui sont concernés par la procédure de l’action de groupe.
Si, la loi J21 et son décret d’application ont institué un cadre général à l’action de groupe tant devant le juge judiciaire que le juge administratif, ces textes prévoient quelques « exceptions qui confirment la règle » en fonction des matières concernées. La consolidation des textes généraux et des exceptions prévues par le code de l’environnement permet donc de décrire la nouvelle action de groupe en matière environnementale.
I/ Les conditions préalables à l’exercice de l’action de groupe en matière environnementale:
L’action est ouverte sur le fondement de l’article L. 142-3-1 du code de l’environnement qui dispose que : « Lorsque plusieurs personnes placées dans une situation similaire subissent des préjudices résultant d'un dommage dans les domaines mentionnés à l'article L. 142-2 du présent code, causé par une même personne, ayant pour cause commune un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles, une action de groupe peut être exercée devant une juridiction civile ou administrative. »
Ainsi l’engagement d’une telle action de groupe suppose-t-elle la preuve d’un intérêt commun à agir, d’une identité de cause et d’auteur du dommage, celui-ci devant résulter d’une faute consistant en une violation d’obligation légale ou contractuelle imposée dans un cadre lié à l’environnement.
En application de l’article L. 142-2 du code de l’environnement, cette action concerne donc les dommages intervenants dans les domaines suivants :
- La protection de la nature et de l’environnement ;
- L’amélioration du cadre de vie ;
- La protection de l’eau, de l’air, des sols, des sites et paysages ;
- L’urbanisme ;
- La pêche maritime.
- La lutte contre les pollutions et les nuisances ;
- La sûreté nucléaire et la radioprotection ;
- Les pratiques commerciales et les publicités trompeuses ou de nature à induire à erreur quand ces pratiques et publicités comportent des indications environnementales.
L’objet de l’action peut tendre soit à la cessation du manquement, soit à la réparation des préjudices corporels et matériels résultant du dommage causé à l'environnement, soit à ces deux fins.
A priori, le préjudice écologique résultant de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, et définit à l’article 1247 du code civil comme « une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement », ne pourra pas être réparé dans le cadre de l’action de groupe, laquelle vise uniquement les préjudices individuels « corporels ou matériels ». La réparation du préjudice moral est également exclue du processus.
En vertu de l’article L. 142-3-1 IV du code de l’environnement, peuvent seules exercer cette action des associations agréées, même si leur spectre semble plutôt large :
- D’une part, les associations, agréées dans les conditions définies par les articles R. 142-11 et suivants du code de l’environnement, dont l'objet statutaire comporte la défense des victimes de dommages corporels ou la défense des intérêts économiques de leurs membres, étant précisé que les associations de consommateurs agréées en vertu de l’article L. 632-1 du code de la consommation et les associations de défense des victimes d’accident agréées visées par l’article 2-15 du code de procédure pénale sont déjà réputée agréées pour l’action de groupe environnementale par l’article R. 142-10 du code de l’environnement ;
- D’autre part, les associations agréées de protection de l'environnement visées par l'article L. 141-1 du code de l’environnement .
II/ La procédure de l’action de groupe en matière environnementale:
Au préalable, l’action de groupe doit être précédée d’une mise en demeure adressée par l’association agréée à l’auteur du manquement, à peine d’irrecevabilité soulevée d’office par le juge, de cesser le manquement ou de réparer les préjudices subis. Ce n’est donc qu’après l’expiration d’un délai de quatre mois suivant la réception de la mise en demeure que la procédure peut être engagée (art. 64 Loi 18/11/2016).
Cette action peut être exercée :
- soit devant le juge judiciaire, avec compétence exclusive du Tribunal de Grande Instance du lieu où demeure le défendeur et est régie par les articles 826-2 et suivants du code de procédure civile,
- soit devant le juge administratif lorsque le dommage est causé par une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public, étant alors régie par les articles R. 77-10-1 et suivants du code de justice administrative.
L’assignation ou la requête de l’association doit obligatoirement présenter les cas individuels au vu desquels elle est engagée (art. 826-4 CPC ; art. R. 77-10-5 CJA).
Lorsque l’action tend à la cessation d’un manquement, le juge peut enjoindre à l’auteur du manquement de prendre, dans un délai qu’il fixe, toutes mesures utiles à la cessation, au besoin sous peine d’astreinte liquidée au profit du trésor public.
En revanche, lorsque l’action tend à la réparation d’un préjudice, la procédure comprend deux phases : le jugement sur la responsabilité et la liquidation des préjudices.
Le juge statue alors dans un premier temps sur la responsabilité du défendeur (faute, préjudice, lien de causalité).
Le Tribunal définit par la même occasion le groupe de personnes à l’égard desquelles cette responsabilité est engagée - c’est-à-dire ceux dont les préjudices susceptibles d’être réparés ont pour cause commune le même manquement - et le délai pour adhérer au groupe (op in).
A cette fin, le juge ordonne, à la charge du défendeur, la publicité de la décision. Cette publicité ne pourra toutefois intervenir que lorsque le jugement sera définitif, ce qui en cas de partie bien défendue ou quelque peu quérulente pourra prendre plusieurs années (appel, pourvoi, renvoi).
Les personnes qui souhaitent adhérer au groupe adressent une demande de réparation soit à la personne déclarée responsable, soit au demandeur à l'action, qui reçoit ainsi mandat aux fins d'indemnisation. La personne déclarée responsable doit indemniser individuellement les personnes ayant adhéré au groupe et ayant subi des préjudices résultant du fait générateur de responsabilité reconnu par le jugement. Les adhérents dont la demande n'a pas été satisfaite peuvent toujours saisir le juge ayant statué sur la responsabilité en vue de la réparation de leur préjudice.
Le juge peut également mettre en œuvre une procédure collective de liquidation des préjudices si l'association le demande et que les éléments produits ainsi que la nature des préjudices le permettent. Il habilite à cette fin le demandeur à négocier, éventuellement par l’intermédiaire d’un médiateur, avec le défendeur l'indemnisation des préjudices subis par chacune des personnes constituant le groupe, et il détermine le montant ou les éléments permettant leur évaluation ainsi que les délais et modalités selon lesquels la négociation et la réparation doivent intervenir.
Enfin, précisons que l'action de groupe en matière environnementale est applicable aux seules actions dont le fait générateur de la responsabilité ou le manquement est postérieur à la date d'entrée en vigueur de la loi, soit au 20 novembre 2016.
Gageons qu’elle connaîtra plus de succès en matière environnementale ou patrimoniale qu’en matière de consommation où, depuis son entrée en vigueur le 1er octobre 2014, elle n’a été utilisée qu’une dizaine de fois…
Loïc DUSSEAU
Avocat au Barreau de Paris
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